Rives

Je suis le nocher, celui qui accompagne sur les flots. L'usage veut que l'on me donne une obole pour mon labeur. Je l'accepte mais elle m'indiffère.
Que pourrais-je me procurer que je n'ai déjà ? Qu'ai-je que l'argent puisse m'offrir ?
Garde ton baiser, voyageur.


On me dit vieux, fatigué, usé. Dans quel état arrives-tu devant moi pour dire cela ? Je suis vigoureux.


Inlassablement, mon embarcation vogue d'une rive à l'autre sur les eaux brumeuses et froides. Inlassablement je rame pour amener ceux qui montent à bord vers une destination sans retour, sans détour.


Le Je pour seule compagnie, mes dialogues sont avec l'Autre.


Vous ne voyez pas mon visage. Vous supputez sur ce qui se trouve sur l'autre berge. Vous ne me parlez que de l'après, que de là-bas.
Eternellement j'entends vos monologues extérieurs de muette hystérie.


Le vent a tourné pour la première fois. La grise tunique s'est soulevée laissant choir sur les eaux troubles un nuage de poussière de larmes.


Un jour sans lumière, la barque est partie sur les flots du fleuve, non plus pour le traverser mais pour le parcourir.
Une nuit sans étoile le nocher a quitté les roseaux, le feu dans l'âme, l'horizon tracé par une plume dans l'iris.